Sa passion de la cuisine l’a menée dans les plus belles maisons de France. Retour sur un destin hors du commun, construit à force de travail, de volonté et d’un amour irrésolu des beaux produits.
« Le goût de la tarte aux pommes, celui des haricots verts de mon grand-père… Tous deux sont inoubliables… » Lorsqu’Amandine Chaignot repense aux saveurs de son enfance, à celles qui ont fait germer le talent de la cheffe qu’elle est aujourd’hui, ce sont ces souvenirs qui lui reviennent immédiatement à l’esprit. « Chez moi, on ne passait pas des heures à table, on cuisinait simplement, précise-t-elle. Mais toujours avec des légumes du jardin, la viande choisie chez le boucher… » Pour autant, même si ces moments ont cultivé chez elle le goût des bons produits, Amandine Chaignot n’avait aucune raison d’en faire son métier. Certes, enfant, elle aimait aider les adultes. « J’ai su faire une mayonnaise à 6 ou 7 ans. Mais, mon désir de cuisine a été très progressif », assure-t-elle.
Son père est informaticien, sa mère directrice de recherche au CNRS. Personne dans sa famille n’a dédié sa vie à la table. Amandine est une élève brillante qui survole ses études avec un an d’avance. Elle se rêve tour à tour vétérinaire, dessinatrice, aventurière, puis, le bac en poche, elle débute des études de pharmacie. « Sans vraiment savoir pourquoi, juste pour voir, sans doute, que cela ne me convenait absolument pas. » L’étincelle est ailleurs, elle le sait. Elle stoppe rapidement l’expérience universitaire et, sans réelle activité, elle se cherche un « petit boulot ». Comme tant d’autres jeunes gens, elle devient serveuse, dans une pizzeria. Le poste peut paraître modeste, le « boulot » anecdotique, mais ce sera presque une révélation pour Amandine Chaignot. « C’était génial, j’ai adoré le travail en équipe, la relation aux clients, le coup de feu du service… », s’enthousiasme-t-elle. Elle s’inscrit alors en CAP de cuisine à l’École Ferrandi, pour apprendre les bases, les sauces, les pâtes, les préparations les plus simples. La jeune fille a un rêve, modeste, lui aussi : « J’imaginais juste ouvrir un petit salon de thé dans la Vallée de Chevreuse, là où j’ai grandi. »
De maison en maison, de concours en concours
L’histoire sera toute autre puisque débute pour elle un parcours dans les plus grandes maisons de cuisine de France et d’Europe. Le chef américain Mark Singer la conseille. Elle rejoint La Maison de l’Aubrac pour son apprentissage, puis la Maison Prunier, où elle est sélectionnée pour participer au Bocuse d’Or. Suivront le Plaza Athénée, le Ritz à Londres, Le Meurice, l’Hôtel de Crillon… Jeune femme douée, elle poursuit une même trajectoire, en quête de l’excellence. Chacun de ses chefs devient une source d’inspiration pour la cheffe en devenir. Du chef Jean-François Piège, elle garde « le goût des livres, le côté encyclopédique de sa recherche » ; d’Eric Frechon, « l’amour du geste répété chaque jour, dès l’arrivée en cuisine » ; de Yannick Alléno, « le développement d’un business, le goût du management et l’ouverture au monde des arts ». Finaliste du concours de meilleur ouvrier de France (2007), elle l’est également sur un prix que peu de femmes ont tenté, le Prix culinaire international de cuisine d’auteur Taittinger, qu’elle termine à la seconde place (2005). « Aujourd’hui encore, quand j’y repense, c’est assez fou, se souvient-elle. J’ai tellement aimé la préparation du concours, la réflexion sur les recettes. J’étais capable de traverser tout Paris au petit matin pour aller chercher le moule que je voulais absolument pour ma préparation. Ça reste une expérience à 360°, ce n’est pas seulement un concours. » Elle garde aussi de cette expérience le souvenir du champagne, « un vin d’exception, celui des grands événements, mais aussi la bouteille que l’on peut sortir sur un coup de tête. Juste parce que la journée a été trop rude et que l’on sait que les bulles de champagne lui donneront une toute autre conclusion. » Depuis, la cheffe est passée de l’autre côté et figure parmi les membres fidèles du jury du Prix.
Savoir se réinventer
Amandine Chaignot a été cheffe du restaurant de l’Hôtel Raphaël jusqu’en 2014, avant de partir une nouvelle fois en Grande-Bretagne. De retour en France, elle ouvre son propre restaurant, Pouliche (11 Rue d’Enghien, 75010 Paris), en 2019, à Paris. Elle compte y faire sa cuisine, « de tradition française, bourgeoise, remise au goût du jour. » Là, la crise sanitaire ne lui laissera pas plus de six mois d’une activité normale mais, Amandine Chaignot trouve l’énergie de transformer son établissement en marché de producteurs ouvert cinq jours sur sept. « Je voulais offrir des débouchés aux agriculteurs qui travaillent avec nous, explique-t-elle avec naturel. Ils se retrouvaient brusquement sans rien, sinon des légumes qu’ils ne savaient pas à qui proposer. » Quoi de plus normal pour celle qui a trouvé le goût des bonnes choses dans le jardin de ses grands-parents. L’activité réduite de son restaurant lui donne aujourd’hui un peu de temps pour explorer des préparations auxquelles elle n’a jamais eu le loisir de s’adonner. « Je suis à fond sur les pâtes, sourit-elle. Les pâtes à brioche, les feuilletages… J’essaie beaucoup de chose. J’aime beaucoup avoir cette matière entre les mains. Et puis, il y a quelque chose de magique dans tout cela. Faire naître tant de textures différentes avec juste de la farine, de l’eau, de la levure, parfois un peu de beurre… » De quoi imaginer de nouveaux plats pour accompagner ceux qui lui tiennent le plus à cœur et nous donnent l’eau à la bouche, comme « le céleri rôti sauce gorgonzola ou le vol-au-vent végétarien de racines blanches ». Avec Stéphanie Le Quellec, Fanny Rey et quelques autres, elle est aujourd’hui la cheffe de file d’une nouvelle génération de femmes cheffes de cuisine imaginatives et sans complexes. Et il faudra compter avec elle(s). Qu’on se le dise !